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H.B.over-blog.com une vie à Valréas

chronique de la vie Valréassienne

Centres de santé mutualiste

Publié le 5 Mars 2014

Une histoire racontée par l’historienne Anne-Marie Thomazeau

Un Français sur deux est mutualiste et la Mutualité est incontestablement le mouvement social le plus important de notre pays. Pourtant son histoire est sans doute l’une des plus mal connues. Car contrairement à l’étude des partis politiques et des syndicats peu d’historiens se sont penchés sur ce mouvement. Son histoire est pourtant celle de l’invention puis de la construction de la solidarité au fil des siècles. C’est de cette forme d’organisation mutuelle, solidaire, de cette sécurité sociale spontanée que les législateurs s’inspireront pour mettre en place les assurances sociales puis la Sécurité sociale à la Libération. C’est à Marseille et tout particulièrement dans le Marseille populaire des quartiers nord qu’est née la Mutualité en France. Une vieille, très vieille histoire.

Un grand Conseil

Nous sommes en 1804. Cette année la société de bienfaiteurs est créée à Marseille. Dans le prospectus qu’elle diffuse, elle annonce ses objectifs et les moyens qu’elle entend se donner pour y parvenir : soulager les vrais pauvres sans leur donner de l’argent mais en leur fournissant les moyens économiques et industriels de subvenir à leurs besoins. Pour coordonner son action avec celle des sociétés de secours mutuels (34 déjà issues pour la plupart de ces quartiers que l’on n’appelle pas encore nord), comme celles des menuisiers de St Joseph, les patrons coiffeurs de St Louis, les corroyeurs et les tanneurs de St Simon, les typographes de St Augustin, elle crée en 1821, le Grand Conseil de la Mutualité. Il s’inspire de celui créé au début du XIIIe siècle par les Marseillais. Ceux-ci avaient alors confié à la direction des affaires de la ville un grand conseil de chefs de métiers élus par leur corporation. Le nouveau Grand Conseil… de la Mutualité, cette fois, permet à différentes couches de la population de se côtoyer, de s’organiser et d’agir ensemble (les syndicats n’existent pas encore). Dans la France d’alors où la misère est la règle, ces sociétés de secours mutuels deviennent rapidement des lieux de réunions de toutes les oppositions. Elles organisent régulièrement des remises solennelles de décorations donnant lieu à de grandes manifestations publiques réunissant des centaines, parfois des milliers de Marseillais. En 1858, le Grand Conseil rassemble 147 sociétés de secours mutuel représentant 12 000 sociétaires et 50 000 personnes protégées.

Les 1ères pharmacies mutualistes

Dès les années 1860, la mutualité marseillaise met en place un service médical d’une modernité extraordinaire qui consiste à abonner leurs affiliés auprès d’un médecin qui en échange d’une somme forfaitaire s’engage à ne réclamer aucun honoraire aux adhérents. En voulant étendre cette pratique aux pharmacies marseillaises, qui refusent une trentaine de mutuelles marseillaises, décident en 1863 d’ouvrir la 1ère pharmacie mutualiste de France, rue du poids de la farine (elle existe toujours sous le nom de pharmacie du lycée). Deux ans plus tard, c’est au tour de la pharmacie mutualiste des Beaux Arts de voir le jour. Elle est aussi toujours en fonction.

Italiens et Espagnols

Dans les années 1880 se développent aussi des sociétés mutuelles issues de l’immigration italienne. Sur les 115 000 Italiens qui vivent dans les Bouches-du-Rhône au début du XIXe siècle, plusieurs dizaines de milliers appartiennent à ces sociétés. Elles se développent pour remplir les fonctions de secours et de prise en charge en matière de santé ou sociale à une époque où l’État n’intervient presque pas dans ce domaine. Après la guerre d’Espagne et l’immigration nombreuse des réfugiés à Marseille, ce type d’organisation se développe également. Bien évidemment, ces deux communautés réfugiés économiques ou politiques s’installent massivement dans les quartiers populaires de Marseille.

Une Mutualité ouvrière

C’est dans les quartiers nord également que va naître la mutualité dite ouvrière, une mutualité des travailleurs pour les travailleurs incarnée par Lucien Molino, aujourd’hui décédé. Né en 1907 à la Belle de Mai, fils d’immigré italien, chauffeur de taxi et syndicaliste CGT, Lucien Molino participe aux grèves de 1936. Il rêve d’une mutualité pour les plus humbles qui permettrait aux Marseillais modestes des se soigner. Troisième voie entre le recours à un système public alors extrêmement délabré et à des cliniques privées hors de prix, il imagine un système géré par les travailleurs eux-mêmes. Reposant sur le bénévolat et un grand mouvement de solidarité, il crée dans un local du 113 de la rue Camille Pelletan, un petit centre médical offrant, outre la médecine générale, des services de prise de sang, de suivis de couches et des vaccinations. Le docteur Teissonnière y donne une consultation gratuite chaque jeudi après-midi. Les mères de famille se passent le mot et viennent nombreuses avec leurs enfants. La Caisse centrale de prévoyance des travailleurs des deux sexes de Marseille et des Bouches-du-Rhône était née. La 2e guerre mondiale vient interrompre les activités de la Caisse dont les biens sont placés sous séquestre. Lucien Molino entre dans la clandestinité. On le retrouve en 1944 dans la compagnie FTP qui libère Marseille aux côtés de Vincent Pellegrini et Louis Callisti qui deviendra Président de la Mutualité des travailleurs puis de la fédération des Mutuelles de France. Il est l’un des animateurs du Comité insurrectionnel de la ville aux côtés de Raymond Aubrac lors des réquisitions des grandes entreprises ayant collaboré.

Des soins pour Tous

55 ans plus tard, la Mutualité ouvrière issue des quartiers nord a fait bien du chemin. Héritière de l’expérience de 1936, la Mutualité des travailleurs (Union départementale de la mutualité des travailleurs) va se développer tout au long des années 70. En 1970, elle crée par souscription populaire, la clinique de la Feuilleraie. Elle ouvre également plusieurs centres médicaux : Marseille, La Ciotat, Aix, Port de Bouc, Port St Louis. Ainsi que des centres dentaires et la maison médicale Paul Paret. En effet en 1963, les habitants des quartiers nord de Marseille sont les grands oubliés de la santé. Ils doivent encore aller jusqu’à la Canebière pour trouver un spécialiste. Tout un voyage… C’est ainsi que les mutuelles décident d’ouvrir le Centre médical Paul Paret où les habitants peuvent bénéficier sur place d’une équipe médicale avec des spécialistes. Et ce sans avance d’argent, grâce à la pratique du tiers payant. La Mutualité va y développer une pratique originale et solidaire de la médecine. Une médecine d’équipe, de proximité, axée sur la prévention et regroupant dans le même lieu des généralistes et des spécialistes salariés de manière à établir des rapports d’un type nouveau entre médecins et malades. En supprimant le lien d’argent, le malade n’est plus un client mais un patient, mieux… un partenaire de soins. Quelques grandes figures ont marqué le mouvement mutualiste marseillais. Difficile de les citer tous. Retenons toutefois : Pierre Gabrielli, Joseph Giribone, Ludovic Trouin, Raphael Bacci, Vincent Pellegrini, le docteur Duc, Édouard Lop.

Une idée à redécouvrir

Aujourd’hui à l’heure où l’ensemble de notre système de santé et de protection sociale est sur la sellette, remis en cause par le Gouvernement et le patronat, menacé d’être ouvert presque totalement au secteur marchand, les mutuelles issues de la solidarité restent bien souvent dans notre société en crise, en proie à la montée des égoïsmes, un îlot d’humanisme. Leur apport pourrait être décisif pour faire barrage à la montée des exclusions. Elles sont malheureusement aujourd’hui mises en concurrence avec les compagnies d’assurances qui voient dans la santé et la couverture complémentaire maladie un marché extrêmement lucratif. L’expérience unique des mutuelles nées il y a plus de deux siècles dans les quartiers populaires de Marseille, leur philosophie, leur éthique, reposant sur l’auto-organisation des populations et de l’accès aux soins pour tous mériterait d’être à nouveau étudiée, analysée. Une grande idée est sans doute à redécouvrir.

Née à Marseille en 1965, Anne-Marie Thomazeau est journaliste depuis 1986 et vit à Paris. Diplômée de l'Institut d'études Politiques d'Aix en Provence, elle est spécialisée dans les domaines société, social, solidarité, psychologie, santé, éthique, elle collabore à la presse magazine. Auteur de nombreux livres documentaires, elle anime régulièrement des conférences et participe à des émissions sur ces différents thèmes. En avril 2011, elle sort son premier roman, "le grimoire de sable", un polar.... Professeur en classe préparatoire (Master sciences-po et grandes écoles de journalisme), elle enseigne la culture générale, et les techniques d'écriture.

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